Pédopsychiatre au CHU de Montpellier, la professeur Amaria Baghdadli est également à la tête du CeAND, le Centre d’excellence sur l’autisme, et coordonne à ce titre une vaste étude portant sur plus de 800 enfants suivis pendant six ans pour tenter de déterminer les facteurs de risque de développer un trouble du spectre autistique. Rencontre avec cette experte qui a accepté de répondre à nos questions.
La terminologie actuelle est celle de trouble du spectre de l’autisme, dénommé aussi TSA. Il s’agit d’un développement inhabituel observé le plus souvent dès la petite enfance et qui perdure. Il se traduit par :
– Des difficultés de communication et des difficultés dans la relation à l’entourage (faible réaction à l’appel du prénom, tendance au repli sur soi…)
– Des comportements très répétitifs au plan de la motricité (battement des mains, contorsion des doigts…) ou dans l’utilisation d’objets (ouvrir-fermer, allumer-éteindre…)
– Et des particularités dans la façon de réagir à l’environnement (hypersensibilité aux bruits, par exemple).
Le TSA appartient à la catégorie des troubles neuro-développementaux. Ses formes sont très variées en fonction de l’association ou non d’autres problèmes de santé (retard de langage, retard intellectuel, maladies neurologiques ou génétiques). En conséquence, le niveau de handicap peut être faible, modéré ou sévère.
Les causes exactes ne sont pas connues. Toutefois, le consensus est qu’elles sont probablement multiples, à la fois génétiques (l’autisme, sans être une maladie génétique à proprement parler, est un syndrome dans lequel le poids des facteurs génétiques est très important) et environnementales (contaminants de l’environnement, pollution, pesticides, perturbateurs endocriniens, alimentation…).
La hausse de la prévalence de l’autisme depuis 50 ans fait suspecter, notamment, l’implication des modifications de l’environnement.
L’une des raisons est le retard ou l’absence de moyens verbaux (mots, phrases) et non verbaux (gestes à l’image du « pointer » pour désigner) pour s’exprimer, se faire comprendre et comprendre ce qui est attendu. Cette difficulté peut être présente très tôt dans le développement de l’enfant et donner lieu à de la frustration qui va se traduire par des colères, des cris… ou un repli sur soi dans un contexte où il ne peut ni comprendre, ni être compris de son entourage. Ces situations impliquent une très grande vigilance et nécessitent de proposer au plus tôt des outils de communication adaptés à chacun.
Une autre raison est la difficulté, même avec un bon niveau de langage, à mobiliser des compétences indispensables à l’échange interpersonnel (le regard, l’attention partagée). Là encore, des méthodes utilisées avec l’enfant et enseignées à ses parents, comme le PACT ou le DENVER* parental, favorisent l’attention partagée indispensable à une relation réciproque.
Enfin, une autre raison est liée, malgré parfois une bonne connaissance des codes sociaux, à la difficulté à les adapter dans un contexte donné. Cela conduit à des comportements sociaux inadaptés et donc à une perte de chance, notamment, pour une bonne inclusion scolaire.
La réponse thérapeutique consiste, dans ces cas, à proposer un entraînement des habiletés sociales visant à améliorer la perception et la compréhension des situations implicites.
Oui, cet apprentissage est essentiel et doit d’ailleurs débuter dès le plus jeune âge, sans oublier qu’il n’est jamais trop tard ! Le mode de communication proposé doit l’être en fonction de l’évaluation des besoins de chacun. Un bilan orthophonique, et de façon plus globale du fonctionnement de la personne, peut aider à faire le choix parmi les nombreux outils qui ont fait leurs preuves (Classeur PECS, Langue des Signes, pictogrammes simples, Makaton…).
Ces outils ont comme point commun d’utiliser le canal visuel qui est supérieur au canal verbal chez les personnes autistes. Leur utilisation nécessite un apprentissage et un suivi pouvant se faire, à titre d’exemple, lors de la rééducation en orthophonie. Parallèlement, les parents aussi doivent être formés à cet outil afin de l’utiliser pour communiquer avec leur enfant.
Ce point est important et pourtant trop souvent négligé. Il est effectivement utile d’adapter l’environnement pour le rendre plus « lisible » et facile à comprendre. Ainsi, en complément du point précédent, des supports de communication visuels sont souvent utiles, tels que des plannings visuels qui aident dans un endroit donné au séquençage des activités mais aussi au repérage, dans le temps, des évènements d’une journée tout particulièrement si elle implique des éléments inhabituels à l’image d’un rendez-vous chez le médecin.
Par ailleurs, comme pour n’importe quelle personne, la communication est favorisée par le choix d’activités plaisantes à partager. Donc, proposer une activité intéressante aux yeux de la personne autiste permet, bien souvent, d’actionner un levier motivationnel pour communiquer.
Une des difficultés est celle d’une expression réduite de la douleur pouvant laisser supposer que les personnes autistes n’ont pas mal ou ont moins mal que les autres, ce qui est faux. Le risque de ce type de croyance peut conduire les professionnels de santé notamment à ne pas prendre les précautions habituellement recommandées pour diminuer la douleur dans les situations où cela le nécessite.
Une autre difficulté est que l’entourage (professionnels de santé y compris) « passe à côté » de problèmes de santé qu’ils soient bénins mais néanmoins aigus comme un panaris, une douleur dentaire, ou qu’ils soient plus sévères en l’absence de plainte. En conséquence, il faut renforcer les mesures de surveillance par le biais d’examens complets, minutieux et réguliers sans attendre une plainte qui ne viendra pas… ou qui prendra une forme inhabituelle comme des colères souvent qualifiées « d’inexpliquées », sans oublier les mesures de prévention (dépistage des caries, du diabète, de l’hypertension artérielle, du cancer…).
Un autre aspect important de cette prévention doit s’attacher à l’éducation à la santé des personnes autistes, à leur préparation à d’éventuels futurs examens médicaux (dentaires par exemple) qui peuvent générer du stress et des troubles du comportement, et au recours de conditions d’accueil et de supports de communication adaptés par les professionnels de santé.
* PACT (Pediatric Autism Communication Therapy) : thérapie de communication pour les enfants avec autisme d’âge préscolaire.
DENVER : méthode éducative et comportementale visant à développer et accroître la communication verbale et non verbale, l’imitation, l’attention, le partage, l’envie de jouer.
>> Pour aller plus loin : dossier de notre magazine d’avril 2021 « Autisme : faire émerger des formes de communication » page 9
En France, environ 700 000 personnes sont atteintes d’un trouble du spectre autistique dont 60 000 personnes autistes.
8 000 enfants autistes naissent chaque année, soit environ 1 personne sur 100. La prévalence est toutefois plus élevée dans les fratries d’enfants avec déjà un enfant autiste (entre 10 et 20%).
La proportion filles/garçons est de 3 à 4 garçons pour 1 fille.
40% de ces personnes présentent une déficience intellectuelle.
Dans le cadre d’appels à projets dans le domaine de la recherche médicale, Perce-Neige soutient depuis l’année dernière des projets innovants en recherche-action destinés aux personnes avec déficience intellectuelle associée éventuellement à d’autres situations de handicap : moteur, sensoriel, autisme, polyhandicap.
C’est ainsi qu’en 2020, la Fondation a apporté un soutien financier à l’équipe de recherche du Centre Ressources Autisme du CHU de Montpellier du Professeur Baghdadli dans le cadre d’une étude sur « la polymédication chez les patients atteints de troubles du spectre autistique associés à une déficience intellectuelle avançant en âge ».